Je suis très heureuse de me trouver en votre compagnie aujourd'hui.
Vous m'avez écrit des lettres, je les ai gardées précieusement.
J'ai trouvé que vous m'aviez posé des questions très
intéressantes.
1.Avant la transplantation
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Avant la transplantation, étiez-vous déjà
intéressée par le don d'organes?
Oui, si quelque chose m'arrivait, je voulais que mon corps serve
à quelqu'un. Par contre, je n'avais pas de carte de donneur.
Je ne savais pas où les trouver. Et je me disais aussi que ma
famille déciderait pour moi. Je me rends compte aujourd'hui que
pour la famille, la décision de donner les organes n'est pas
facile à prendre dans le stress de ces moments-là, les
gens sont tristes et sûrement peu disposés à offrir
les organes. Il vaut mieux avoir pensé à cette possibilité
avant.
Avant votre opération, aviez-vous déjà imaginé
être une fois transplantée?
Une fois, j'avais vu une émission sur la transplantation à
la télévision. J'étais dégoûtée
à l'idée qu'on puisse vivre avec un morceau de chair d'une
autre personne morte. Mais aujourd'hui, je ne pense plus du tout comme
ça. Et depuis que j'ai eu la chance d'assister à la transplantation
"en live" d'un foie, j'ai trouvé extraordinaire de
voir le nouveau foie remplacer l'ancien qui était laid et malade.
C'est un peu le miracle de la vie.
Comment avez-vous su que vous étiez malade?
Je ne me sentais pas du tout malade. Je devais aller en Angleterre
pour le mariage d'une copine. On est parti en voiture depuis la Suisse.
La nuit, j'ai eu très mal au ventre. Le lendemain, en Angleterre,
j'étais en pleine forme. J'ai même couru une heure sans
difficultés. Le surlendemain, j'avais à nouveau mal au
ventre. Ma mère m'a conseillé d'aller chez le médecin
qui m'a fait un ultrason. Je pensais que c'était bon mais le
médecin a préféré faire un scanner. C'est
un appareil qui permet de mieux voir ce qui se passe à l'intérieur
du corps. Le médecin se rendait bien compte que quelque chose
n'allait pas mais il a fallu deux mois pour décider que la transplantation
était la seule chance d'un remède possible. Ensuite, j'ai
attendu 8 mois.
Est-ce que vous aviez imaginé qu'il fallait une tranplantation
pour vous guérir?
Non, pas du tout. Je me disais: "C'est rien." J'ai demandé:
"Qu'est-ce que c'est?" Mon radiologue m'a dit qu'il transmettrait
le dossier à mon médecin. Comme j'insistai, il a fini
par me dire: "On dirait qu'il y a des kystes sur le foie."
J'ai demandé: "Est-ce que ça pourrait menacer ma
vie?" Il m'a répondu: "Ca pourrait." Alors là,
j'ai réalisé que c'était grave. James avait 8 ans
et Zoé 5 ans. Quand on a des enfants petits comme ça,
on est mal.
Est-ce qu'on aurait pu enlever le foie et ne rien remettre à
la place?
Non, parce que le foie est un organe vital. La transplantation,
c'est le travail du chirurgien. Est-ce que quelqu'un voudrait devenir
chirurgien ici?
(Réponse de Francesco): "Moi, je voudrais faire poète."
C'est merveilleux. Tu pourras écrire des choses magnifiques
pour faire connaître la transplantation.
Comment s'est passée votre période d'attente?
Je peux dire que j'ai eu beaucoup de chance. Contrairement à
d'autres, je pouvais presque vivre normalement. Un bip m'accompagnait
en toute circonstance mais c'était un moindre mal.
Pourquoi à un certain moment vous avez enlevé votre
bip?
Comme le seul chirurgien que je désirais pour ma transplantation
était parti à un congrès en Amérique, je
n'ai effectivement pas porté mon bip pendant une semaine. Je
me suis dit alors: "Ma mère est malade, je vais en profiter
pour partir une semaine en Angleterre ."
Et si vous étiez toute seule dehors sans le bip?
A part cette incartade, je n'étais jamais dehors sans mon
bip. Il faut savoir prendre ses responsabilités: si on nous cherche
pour nous donner ce grand cadeau qu'est le nouvel organe, il est normal
de faire l'effort de porter le bip pour qu'on puisse nous atteindre.
C'était pas agaçant de faire du sport avec le bip?
Pas tellement parce que c'était très petit. Mais avant
celui-la, j'avais un ancien qui était très gros; il fallait
même mettre une antenne sur le toit de la voiture. Il faut que
je vous raconte une anecdote à propos de cet engin. Un jour,
ce gros bip a sonné. Affolée, j'ai composé rapidement
le numéro d'urgence. Et là, on m'a réprimandée:
- Pourquoi vous n'avez pas téléphoné avant?
- Mais le bip n'a sonné que maintenant.
- On vous cherche depuis longtemps, maintenant c'est trop tard.
J'étais dans tous mes états mais c'était un malentendu:
en fait, ils cherchaient une infirmière pour faire une transplantation
de cornée et ils m'avaient pris pour cette personne.
Et comment ça s'est passé quand c'était pour
de bon?
En fait, ils essaient d'abord de nous attendre par le téléphone
normal. Ils ont donc atteint mon mari. Moi, j'étais en ville
avec une amie qui possédait un portable. C'est donc par son Natel
que j'ai appris la nouvelle. On m'a dit de rentrer chez moi et d'attendre
parce qu'il y avait une possibilité d'avoir un donneur.
Est-ce que les notes de vos enfants ont baissé quand ils
ont su que vous alliez être transplanté?
Il faut leur poser la question à eux.
(réponse de son fils James): Non, pas du tout.
(réponse de sa fille Zoé): Je ne me rappelle plus. (Elle
n'avait que 5 ans à l'époque)
Est-ce que vos enfants étaient choqués? Est-ce qu'ils
avaient peur?
(le grand garçon répond). Non, on avait un peu l'impression
qu'elle était partie en vacances.
(Liz complète) Quand ils venaient me trouver à l'hôpital,
j'avais un lit qui montait et descendait, j'avais des gouttes-à-gouttes
partout. Ils voulaient surtout jouer avec mon lit. (montrant sa fille)
Elle, elle sautait sur le lit. C'était un peu comme dans le film
"Y a-t-il un pilote dans l'avion?"
2.Après la transplantation
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Comment s'est passée la suite de l'opération?
J'avais l'impression d'avoir un foie trop gros et je n'arrivais
pas à me tenir debout comme avant. Alors j'aimais bien plaisanter
avec les médecins et les infirmières. Je leur disais:
" Non seulement vous avez mis un foie trop gros -je ne peux plus
attacher mes chaussures - mais en plus, vous avez attaché mes
muscles trop court, alors je ne peux plus bien me tenir debout."
Mais maintenant, ça va très bien.
Pourquoi vous portiez le masque dans l'hôpital?
Malgré que l'hôpital est très propre, il y a plein
de microbes qui peuvent être dangereux pour des gens comme moi
qui doivent prendre des médicaments pour éviter le rejet.
Mon foie n'est pas né dans mon corps, il a été
mis après. Donc, pour que mon corps ne le rejette pas, je dois
prendre des médicaments. En les prenant, ça baisse mon
système immunitaire, je suis donc plus sensible aux attaques
des microbes qu'une autre personne. C'est donc pour me protéger
de ces microbes que je devais porter un masque.
A l'entrée de la chambre, les gens devaient se laver les mains
avant d'entrer en contact avec moi. Et je devais même porter le
masque quand je me promenais autour du CHUV. Les gens me prenaient pour
Michael Jackson.
A la rentrée chez moi, je n'avais plus besoin de porter de masque
mais je devais faire très attention. Par exemple, je ne devais
manger le beurre qu'en petits emballages de 10 g.; je ne devais pas
consommer de restes...
C'est un peu comme les bébés qui passent les premiers
jours de leur vie sous une sorte de tente en plastic. Ils ne peuvent
même pas être en contact avec leurs parents.
(Lionel, élève de la classe): Moi j'ai vécu
aussi comme ça quand j'étais petit.
Que prenez-vous comme médicament?
Je prends deux petites pilules le matin et deux petites pilules
le soir. J'ai la chance de n'avoir aucun effet secondaire.
Est-ce que vous avez déjà oublié de prendre
vos médicaments?
Ca m'est arrivé mais très rarement. C'est heureusement
pas trop grave parce que ça fait longtemps que j'en prends. Les
premiers temps après ma transplantation, cela aurait été
plus dangereux.
(Lionel, élève de la classe.):
Mon papa avait une très grave maladie sur les poumons. Tous les
matins, il devait prendre beaucoup de médicaments avec une machine
qui faisait un bruit horrible. On ne pouvait pas regarder la télévision.
C'est moi qui devais m'occuper de lui donner les médicaments.
Et un jour, le 13 décembre, à 10 heures, il n'a plus tenu,
il est mort.
C'est sûrement une chimiothérapie. Tu connais bien la
maladie, toi?
Oui, ma maman aussi, elle est infirmière.
Je suis sûre qu'elle est très bien ta maman.
Vos enfants ont-ils la carte Swisstransplant?
(Liz pose la question à James) Tu l'as?
Je crois que je l'ai perdue.
Liz: Avant il avait toujours une carte avec lui.A propos des cartes,
si les enfants n'ont pas la majorité, même s'ils ont une
carte, on posera toujours la question aux parents. Est-ce que vos parents
ont été choqués que vous parliez à l'école
de choses comme ça?
Non. Ils pensent que c'est bien, que ça peut sauver des vies.
Liz: Avant, ma mère n'aimait pas du tout cette idée de
transplantation. Maintenant, elle a complètement changé.
Je crois que de faire un film sur ce sujet ou de faire ce que vous faites
avec votre site, ça peut beaucoup aider les gens à se
situer. On a le droit d'être contre mais il faut y avoir réfléchi.
Maintenant, est-ce que vous travaillez tout le temps au magasin
de sport?
Je ne travaille que 6 mois par année mais pendant cette période,
je n'ai pas de congé. Mais je travaille aussi sur un projet de
course pour enfants transplantés qui aura lieu à Anzère
le 12 janvier 2002. Il s'agit de "The Nicholas Cup", qui sera
courue à la mémoire de Nicholas
Green, le fils de Reg Green. On invite un enfant des
quatre coins du monde à participer à cette coupe. Une
semaine avant la course, on organise aussi un camp de ski pour s'exercer
ou simplement pour apprendre à skier. "The Nicholas Cup"
est une course particulière où le vainqueur n'est pas
le plus rapide mais celui qui devine combien de secondes il met de plus
que l'ouvreur. Je peux déjà vous annoncer qu'il y aura
bientôt un site consacré à cette course.
Qu'est-ce que vous avez gagné comme médaille aux Jeux
de Nendaz?
J'ai gagné le slalom parallèle dans le groupe des
vieilles dames comme moi et le super G. Je n'avais jamais fait de compétition
auparavant mais c'est très excitant. Quand on met le casque et
qu'on sait que la course durera à peu près une minute,
on se dit: "J'y vais et tant pis si je me casse la figure".
Par contre, au snowboard, j'ai été avant-dernière.
Je n'ai pas l'âme à sauter les falaises.
Auriez-vous aimé ne rien avoir?
Bien sûr, mais le fait d'avoir été transplanté
me permet de vivre des choses très positives: par exemple la
rencontre avec vous ce matin. J'ai rencontré par exemple le père
de Nicholas Green, celui qui vous avait envoyé un message.
Et j'ai aussi rencontré une dame dont le fils voulait faire don
de ses organes. Lorsqu'il a eu un accident, les médecins ont
demandé à la maman si elle voulait bien donner les organes
de son fils. D'abord révoltée, elle a dit: "Comment
vous n'êtes pas capables de sauver mon fils avec tous vos appareils?"
Puis, elle s'est souvenue de la promesse de son fils et a finalement
accepté de donner ses organes.
Grâce à ce que j'ai vécu, j'ai aussi changé
de regard sur la vie: certaines choses qui me paraissaient très
importantes autrefois me paraissent futiles aujourd'hui.
Autre chose: je suis très reconnaissante par rapport aux personnes
qui ont une carte de don d'organes. Je trouve que si vous portez une
carte, c'est comme si vous aviez déjà donné vos
organes.
Maintenant, vous avez donc deux anniversaires?
Oui. Le 10 mars, c'est mon anniversaire. Je fête cette année
mes 40 ans. L'autre anniversaire, c'est celui de ma transplantation.
Je ne peux pas vous dire cette autre date parce que le don d'organe
est anonyme et la famille du donneur ne doit pas savoir qui a reçu
l'organe.
Vous avez fait la fête au retour de l'hôpital?
Pas tout de suite, mais deux ou trois mois plus tard, j'ai invité
mon chirurgien et les personnes qui m'avaient soignée. Nous avons
fait une fête à la montagne. On a ri, on a même fait
du karaoké, c'était un merveilleux moment et j'étais
heureuse de voir ces personnes dans d'autres circonstances. Et puis,
plus tard, lorsque j'allais acheter des collections pour mon magasin
de sport, des gens qui m'avaient vu au téléjournal ou
dans les journaux me reconnaissaient et me souhaitaient plein de bonnes
choses. J'étais très touchée de cette "reconnaissance".
Est-ce que vous avez encore une activité sportive?
Oui, bien sûr, je pratique beaucoup le sport. Je fais du vélo,
du fitness, de la course à pied. Je dois m'entraîner parce
qu'à la fin août, j'irais aux jeux d'été
pour transplantés qui se dérouleront au Japon.
3. Questions générales
sur la transplantation
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Comment ça se passe quand quelqu'un donne ses organes?
En fait, le donneur d'organes est tenu en vie par une machine. Vous
avez sûrement déjà vu des films où on voit
des machines travailler à maintenir des personnes en vie. On
doit faire des tests pour voir si le corps du "donneur" n'est
pas malade, si ça vaudra la peine de prélever des organes.
Pendant ce temps, le bureau de coordination nationale de Swisstransplant
commence déjà à chercher les "receveurs"
potentiels. Les médecins font un encéphalogramme pour
s'assurer que le cerveau du donneur n'est plus irrigué, et donc
qu'il est bien mort cérébralement.
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Liz
et sa fille Zoé
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C'est quoi un encéphalogramme?
C'est un appareil qui permet de voir si le cerveau est irrigué.
S'il n'est plus irrigué, tu ne peux plus le ravoir, il est irrémédiablement
fichu. Et cela signifie que la personne n'a plus aucune chance de vivre.
Mais pourquoi faut-il maintenir en vie le donneur?
Si les organes ne sont plus irrigués, ils commencent à
se gâter, ils seront donc inutilisables pour une transplantation.
Donc, on maintient en vie les organes du donneur pour pouvoir les utiliser
ensuite.
A quoi ressemble un foie?
C'est un gros bout de chair, un bout de "viande" comme
quand tu vas chez le boucher.
Est-ce que c'est comestible?
Mon ex-foie, sûrement pas. Les foies sains sont sûrement
comestibles mais on ne mange pas de l'homme dans notre civilisation..
Est-ce que vous avez encore peur aujourd'hui?
C'est marrant, mais je sens très libérée et
j'ai aujourd'hui moins peur de tout.
Merci Liz de nous avoir ouvert les yeux sur votre vécu. Merci
de nous donner une leçon de bonheur par votre joie de vivre!
Le greffier ad hoc, Pierre-Marie Epiney